et les hommes sont venus by Et les hommes sont venus

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Auteur:Et les hommes sont venus [les hommes sont venus, Et]
La langue: fra
Format: epub
Publié: 2012-01-23T13:03:35+00:00


6

Les temps sérieux avaient commencé à Londres par un jour gris et menaçant. Je ne cherchais rien de ce genre. Je dirais même que je cherchais le contraire. Charlie avait presque deux ans et je sortais de la phase introvertie, chrysalide, des débuts de ma vie de mère. Je rentrais de nouveau dans mes jupes préférées. J’avais envie de faire admirer mes ailes.

J’avais décidé de passer une journée sur le terrain. Je voulais rappeler aux filles de la rédaction qu’on pouvait parfaitement écrire un article de fond soi-même, par ses propres moyens. En incitant mes collaboratrices à s’engager dans de petits reportages, j’espérais faire des économies sur mon budget de piges. C’était très simple, avais-je lancé avec désinvolture au bureau, il suffisait de coucher ses réflexions piquantes sur le papier avec un minimum de cohérence au lieu de les griffonner, dans le désordre, sur des cartons d’échantillons.

En fait, tout ce que je voulais, c’était le bonheur de mes collaboratrices. À leur âge, je venais de passer mon diplôme de journalisme et ce boulot me grisait. Dénoncer la corruption, clamer la vérité. J’avais adoré ça, pouvoir monter au créneau pour pourfendre les salauds et demander qui, quoi, où, quand et pourquoi. Mais arrivée dans l’entrée du ministère de l’Intérieur, Marsham Street, avec un peu d’avance pour mon interview de dix heures, je me suis rendu compte que je n’en avais plus très envie. Vers vingt ans, on est naturellement curieux, mais à trente, on se méfie de toutes celles qui ont encore la vie devant elles. Je me suis cramponnée à mon carnet de notes et à mon dictaphone flambant neufs, dans l’espoir qu’un peu de leur prédésenchantement juvénile déteindrait sur moi.

J’étais fâchée contre Andrew. Je n’arrivais pas à me concentrer. Je ne ressemblais même pas à un personnage de reporter – mon carnet à spirale était d’une blancheur virginale. En attendant l’heure, je l’ai couvert de notes d’interview fictives. La fonction publique traversait l’entrée du ministère dans ses chaussures éculées, tenant en équilibre son café matinal sur un plateau en carton. Les femmes débordaient de leurs tailleurs-pantalons Marks & Spencer, fanons tremblotants, bracelets cliquetants. Les hommes avaient l’air mous et hypoxiques – à moitié garrottés par leurs cravates. Ils étaient tous voûtés, ou pressés, ou affligés de tics nerveux. On aurait dit des présentateurs météo s’apprêtant à rectifier à la baisse leurs prévisions pour le pont de l’Ascension.

J’essayais de me concentrer sur l’article que je voulais écrire. Il me fallait un papier optimiste, quelque chose de pétillant, de positif. Diamétralement opposé, autrement dit, à tout ce qu’Andrew pourrait écrire dans sa chronique du Times. On s’était disputés, lui et moi. Ses textes devenaient de plus en plus sinistres. Je crois qu’il commençait sincèrement à se persuader que la Grande-Bretagne était en train de s’enfoncer dans la mer. La criminalité montait en flèche, le système scolaire était calamiteux, l’immigration rampante et la moralité publique en chute libre. Sous sa plume, tout suintait, dégoulinait et exsudait, et j’avais horreur de ça. Maintenant



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